L’un des domaines de responsabilité importants et souvent discutés pour un stratège travaillant dans des agences de création (publicité, marketing, branding, digitale, etc), ainsi que directement avec des clients, est le « brief créatif ».
Pour résumer si vous n’êtes pas familiers avec l’idée; l’agence créative a été informée par les clients (annonceurs / propriétaires de marque) de ce qu’ils recherchent pour un projet en particulier, puis quelqu’un (généralement le/la stratège) élabore un brief créatif qui synthétise le projet ses objectifs, toute la recherche qui a été faite, et la stratégie – en somme ce qui doit être fait ou communiqué, à qui, et comment.
Généralement, c’est un document écrit (en général chaque agence a son modèle). Ce document est présenté lors d’une réunion interne avec des représentants de tous les départements. Ensuite, le projet passe au département créatif (directeur artistique, rédacteurs, etc).
Dans ce post de Psychology Today, le Pr. Peter Gray de Boston College détaille les caractéristiques principale du jeu (et celles-ci sont similaires à celles décrites par le sociologue Roger Caillois dans Les Jeux et les Hommes):
- Le jeu est consciemment choisi et orienté; les joueurs sont toujours libres de le quitter.
- Le jeu est une activité dans laquelle les moyens sont plus valorisés que les fins.
- Le jeu est guidé par des règles mentales.
- Le jeu n’est pas littéral. Il est imaginatif, délimité de la réalité d’une manière particulière.
- Le jeu implique un état d’esprit actif, alerte, mais également non stressé.
L’auteur explique également comment le jeu et un état d’esprit ludique peuvent être perçus le long d’une gamme (ou un spectre), en particulier pour les adultes. J’utiliserai un exemple similaire: quand j’ai commencé à écrire ce post il y a quelques jours, c’était 100% en jouant, puis ce pourcentage à baissé quand j’ai réalisé que je n’étais pas clair dans ce que j’écrivais, et pas sûr de ma conclusion. Je me suis jugé à « 60% ludique » quand j’ai arrêté d’écrire. J’ai écrit quelques notes de plus à la main hier, et j’étais peut-être à « 80% ludique ».
Bien évidemment c’est une mesure subjective, pour se donner une idée de la présence d’un état d’esprit ludique à la fois fluide et changeant.
Je trouve l’idée intéressante pour la stratégie en général, y inclus le brief créatif, car un état d’esprit ludique favorise la créativité:
Dans de nombreuses expériences psychologiques, la condition alerte mais non stressée de l’esprit ludique est précisément la condition qui a été démontrée à plusieurs reprises comme étant idéale pour la créativité et l’apprentissage de nouvelles compétences.
Pr. Peter Gray, The Value of Play
Des pensées et les sentiments d’obligation, de coercition, ou de pression, qui pourraient être présents dans le processus du briefing créatif sont susceptibles de réduire ou d’éliminer la possibilité d’un état d’esprit ludique, et ainsi d’étouffer le type de créativité disponible.
En réfléchissant dans le style des caractéristiques principales du jeu citées plus haut, voici quelques suggestions pour apporter une présence ludique au processus du briefing créatif.
1. L’esprit ludique commence avec soi même
Le jeu, dans le sens de l’état d’esprit ludique (play, being playful, en anglais), est consciemment choisi et orienté. Si vous menez le processus de ce briefing créatif sans aucune présence ludique, vous êtes plus susceptible d’amoindrir la présence ludique, et donc la créativité, pour les autres lors de la réunion de briefing, que de l’encourager.
Quelques signaux qui peuvent être intéressants à observer :
- Ca fait plein de fois que vous faites ça et c’est encore la même chose – et il est possible que l’équipe ressente la même lassitude.
- Vous faites ça parce qu’il le faut, c’est le boulot.
- Vous sentez qu’il faut juste que ce soit fait, vous voulez en finir au plus vite.
- Vous soupçonnez que l’équipe ne lira pas le brief, ce qui vous irrite un peu.
- Quelle que soit la raison, vous n’êtes pas satisfait de votre brief.
- Vous êtes stressé, fatigué, et/ou vous manquez de temps.
Aucun de ses signaux n’est un problème en soi, préparer un brief créatif est un travail en général, et c’est normal de penser ou de ressentir ce genre de choses. Ce ne sont que des signaux indiquant l’absence potentielle de jeu.
Bien sûr, la présence ludique n’est absolument pas nécessaire pour préparer un bon briefing créatif. Je pense cependant que c’est une opportunité d’apporter un plus en créativité à la démarche.
2. Penses-bêtes et rappels
Tous les mammifères (dont nous, homo sapiens) jouent naturellement et instinctivement pour apprendre, ce dès leur plus jeune âge. Pour nous cependant, puisque nous opposons la notion de «jeu» à celle de «travail» (un tout autre sujet, pour une autre fois), un état d’esprit ludique peut facilement se dissiper ou être oublié face à d’autres préoccupations qui peuvent être plus pressantes, tels que celles citées précédemment.
« On a pas le temps de jouer voyons, on travaille à mettre de la créativité au service des résultats commerciaux de ces marques.«
Bien que vous soyez au travail et que vous deviez techniquement présenter ce briefing créatif, d’y apporter un esprit ludique n’est pas forcément exclu.
On peut avoir des penses-bêtes pour se rappeler de la dimension « jeu ». Cela peut être beaucoup de choses, par exemple: un post-it, un rappel calendrier, une note dans le brief créatif, un accessoire physique (un dé, une carte à jouer épinglée près du bureau, une figurine, un jouet, etc.
Placez-le quelque part où vous allez l’apercevoir régulièrement et remplacez-le si ou quand il perd son sens ludique à vos yeux. Si vous commencez à l’ignorez, par exemple.
Rappelez-vous ce que vous aimez de ce métier et de l’industrie de la communication. Pour moi cela fait partie de ramener un esprit ludique et créatif. J’ai grandi avec des publicités emblématiques qui me rappellent de bon souvenirs, me font sourire, et me rappellent aussi pourquoi j’ai voulu travailler dans ce domaine, comme cette fameuse campagne publicitaire Kiss Cool.
Rappelez-vous pourquoi vous faites cela en premier lieu. Cela peut sembler prétentieux ou hautain, mais je pense tout de même que la communication de masse peut être utilisée pour avoir un impact positif sur les gens et dans le monde. Je veux travailler sur des projets de communication créatifs qui ont un impact, que ce soit une publicité bête qui fait sourire, ou même idéalement quelque chose de vraiment utile.
3. Jouer avec la présentation du brief
Cela a probablement déjà été dit, mais si nous sommes honnêtes, le document de brief créatif écrit est presque toujours une feuille de papier (ou un fichier) qui peut être relativement ennuyeux à lire.
Est-ce que vous lisez le manuel avant d’utiliser ce nouveau gadget que vous venez d’acheter? Dans le même ordre d’idée, est-ce que vous lisez toutes les conditions générales avant de cliquer et utiliser un service en ligne ou une application mobile?
J’avoue qu’en général, je ne le fais pas, ou pas la plupart du temps en tout cas. Du coup et de manière similaire, c’est ironique que je me sois parfois trouvé irrité envers des collègues parce que je soupçonnais qu’ils n’avaient pas lu mon brief.
Le brief écrit est un point de formalité important dans le processus, et une référence de synthèse. Tout le monde doit être d’accord avec le contenu, mais cela ne veut pas forcément dire que tout le monde doit le lire en entier.
Pour la réunion et présentation, le briefing créatif en soi, cela vaut le coup d’évaluer le contenu du brief écrit, ce qui est le plus important, et comment le transmettre de manière à apporter un peu d’esprit ludique.
Même dans des délais courts, des petits détails peuvent faire toute la différence.
Voici quelques idées pour idées qui peuvent s’inscrire dans les caractéristiques citées plus haut:
- Jouez des clips de musique et de vidéos. Par exemple, j’ai joué un clip du film « From Dusk Till Dawn » (une Nuit en Enfer) une fois pour donner un ambiance alors que tout le monde arrivait à la réunion. Le brief n’était pas en rapport direct mais il y avait jeu de mots, et ça a donné un ton et de l’énergie à la réunion avant même qu’elle démarre.
- Jouez avec des références inattendues. Un milieu d’une présentation autrement assez sérieuse j’ai utilisé des personnages de Disney pour illustrer un propos très clairement, et qui est venu comme une surprise, qui a cassé un peu la routine de la réunion interne.
- Jouez avec des analogies visuelles. Sur un briefing, j’ai utilisé des activités de la routine quotidienne pour illustrer le défi commercial et le message clé à communiquer. Ces quelques images de football and de téléphone mobile n’étaient immédiatement liées au projet en cours, mais cela m’a permis de cadrer les idées transmises dans un contexte à la fois décalé, et qui avait du sens pour tout le monde.
- Jouez avec des accessoires. Parfois, un accessoire physique peut transmettre bien plus que des mots ou des image. Pour un brief dont l’idée centrale tournait autour du bonheur il y a quelques années, j’ai apporté des anti-stress jaunes en smileys que j’ai distribué. Tout le monde à pu jouer avec pendant que je parlais, et instinctivement comprendre le message central visé.
4. Invitez les autres à jouer avec vous
Même si quelqu’un est techniquement en charge de la présentation, le briefing créatif est un effort collaboratif. Pour un processus plus agile, impliquez les membres de l’équipe dans la préparation. Si j’utilise de la musique par exemple, j’en parle aux responsables commerciaux et au directeur artistique au préalable pour avoir leur aval, et être sûr qu’ils apprécient les idées aussi.
Bien sûr vous n’allez probablement jamais réellement utiliser le mot « jouer » dans tout ce que j’ai décrit, il est possible d’être conscient de la présence de jeu. Demandez aux gens s’ils sont prêts pour le briefing. De petites choses physiques peuvent changer ou créer l’humeur (même si parfois un peu fantaisistes): par exemple, demandez à tout le monde de frapper dans leurs mains une fois pour avoir l’attention de tout le monde, de faire un tour de high fives (ok, c’est peut-être un peu Américain), ou demandez à tout le monde ce qu’ils ont mangé pour le petit déjeuner (une méthode souvent utilisée avant des interviews, pour tester les micros et relaxer l’invité).
Invitez les gens à participer. Faites de la place dans le briefing pour que les gens vous interrompent. Demandez aux gens s’ils ont des exemples ou si les propos leur rappellent quelque chose. S’ils vous arrêtent parce qu’ils avaient une idée liée au sujet en question, tant mieux! C’est probablement un bon signe. Parfois, c’est mieux de garder les questions et commentaires pour la fin en raison gestion du temps. Parfois, c’est approprié, et d’autres fois non. Essayez de vous adapter aux différentes situations en étant agile.
Si vous voyez que les gens ne semblent pas très intéressés, alors il n’y a probablement pas beaucoup de jeu, voire même de vie présente. Autant arrêter de parler et demander ce qui se passe. Sans pour autant être dramatique, demandez simplement ce qui se passe pour et écoutez.
Je traduis ça de l’anglais et je sais que ce n’est peut-être pas culturellement très français, mais je l’ajoute quand même: gardez le sourire.
Si toute l’équipe repart du briefing créatif en étant enthousiaste et en discutant déjà de nouvelles idées, il y a de fortes chances qu’ils soient dans un état d’esprit ludique et la créativité s’en suit.